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Chroniques
Yvonne, princesse de Bourgogne
opéra de Philippe Boesmans
Coproduit par La Monnaie de Bruxelles, les Wiener Festwochen et l’Opéra national de Paris, le nouvel ouvrage de Philippe Boesmans se laisse découvrir aujourd’hui au Palais Garnier. Disons-le d’emblée : il ne bénéficie pas des avantages de ses ainés, qu’il s’agisse du récent Julie [lire notre critique du DVD] ou du plus ancien Reigen [lire notre chronique du 12 juin 2004]. Le tandem que forment l’homme de théâtre Luc Bondy et le compositeur belge n’eut guère la main heureuse, cette fois. La recette demeure pourtant la même : s’emparer d’un grand texte de théâtre de la fin du XIXe siècle, le mettre ingénieusement à distance par la concentration exigée par le caractère succinct d’un livret, enfin inscrire la musique elle-même dans l’aura particulière de la pièce, de son auteur, de son époque. Indéniablement, la musique de Boesmans s’affirme infiniment cultivée et curieuse comme un ogre. Bien qu’une telle position esthétique coure le danger d’une relative dépersonnalisation, ni Reigen (La Ronde, célèbre pièce de Schnitzler, mais aussi superbe bobine d’Ophüls) ni Julie (Mademoiselle Julie, bouleversant et cruel huis-clos de Strindberg) n’ont souffert de ce risque. En revanche, Yvonne, princesse de Bourgogne, qui emprunte au théâtre caustique de Gombrowicz, plus tardif (1938), est ternie par une sorte d’indifférenciation malheureuse.
Écrire un livret, c’est d’abord accepter de renoncer à certains aspects du texte inspirateur. Il s’agit de choisir en s’en tenant à l’essentiel. Au contraire, le livret d’Yvonne inventorie, de sorte que l’action s’y suspend, sans hiérarchie dramatique et sans rythme. Le résultat paraît bavard sans pour autant que jamais fuse une réplique. Fidèle à ses affinités, Boesmans se tourne vers une modernité ancienne qu’il s’approprie avec moins d’à-propos qu’à son habitude. Son expression devient alors laborieuse, dans un climat qui vacille entre l’opérette – idée moins judicieuse qu’on pourrait le penser, s’agissant de Gombrowicz –, d’énigmatiques moires schrekériennes, le cabaret klezmer et la dorure d’un Strauss vieillissant.
Conçu pour un petit orchestre dont Sylvain Cambreling, à la tête de Klangforum Wien, révèle le raffinement d’écriture, Yvonne, princesse de Bourgogne fait la part belle aux voix. Soutenues par une fosse plutôt légère que dynamisent de rares contrastes, toutes paraissent de format gigantesque, emplissant aisément la salle. C’est autant de gagné pour un certain naturel, un jeu pouvant s’intérioriser plus, une expressivité rendue facile par des proportions délicatement dosées. La distribution réunie ce soir honore parfaitement l’œuvre par une présence, tant vocale que théâtrale, des plus probantes. L’on y goûte le phrasé généreux de Guillaume Antoine en Innocent, la clarté de timbre de Jason Bridges en Cyrille, le mordant et le corsé de Jean-Luc Ballestra en Cyprien, l’élégante sensualité du chant d’Hanna Esther Minutillo en Isabelle.
Dans les quatre rôles chantés principaux, on retrouve avec plaisir des voix facilement conduites : l’impressionnant Victor von Halem qui campe un Chambellan remarquable, le Roi de Paul Gay, l’évident Prince de Yann Beuron et Mireille Delunsch d’un grand humour et d’une souplesse vocale stimulante en Reine Marguerite.
Mais, décidément, rien n’y fait : l’on s’ennuie ferme à cette comédie tragique en quatre actes et en musique à peine relevée par un seul moment dramatique : « un cercle » que prononce la voix venue d’ailleurs du rôle-titre, fascinante Dörte Lyssewski, au début de l’Acte II. L’interprétation n’est pas à mettre en doute : c’est la pièce de Gombrowicz elle-même qui ne saurait s’acclimater de la pâleur ambiante. N’oublions pas de saluer à sa mesure la prestation des Jeunes Solistes que préparèrent Rachid Safir et Daniel Navia pour les parties de chœur.
BB